Les Yeux de Mona de Thomas Schlesser

 


« Le noir est une couleur ! »

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Cinquante-deux semaines : c’est le temps qu’il reste à Mona pour découvrir toute la beauté du monde. C’est aussi le temps que s’est donné son grand-père pour l’initier, chaque mercredi, à une œuvre d’art, avant qu’elle ne perde, peut être pour toujours, l’usage de ses yeux.

Ensemble, ils vont sillonner le Louvre, Orsay et Beaubourg afin de capter l’essence même de l’art, s’émerveiller, s’émouvoir et s’interroger.

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Un dimanche soir, alors que Mona est tranquillement assise à la table de la cuisine et travaille sur ses devoirs, elle perd la vue, comme ça, sans raison. Une épaisse obscurité l’enveloppe pendant 63 minutes. Soixante-trois longues et interminables minutes pendant lesquelles elle entend sa mère paniquée au téléphone avec le médecin de famille, pendant lesquelles on la traîne jusqu’aux urgences ophtalmologistes du Dr Van Ost, spécialiste des yeux et de l’hypnose. Soixante-trois minutes pendant lesquelles elle entend ses parents paniquer alors qu’elle-même se sent impuissante.
Puis d’un coup, la vue lui revient, aussi brutalement qu’elle a disparu.

S’en suit un suivi médical poussé, rendez-vous sur rendez-vous pour chercher à comprendre le fond du problème. Comment Mona a-t-elle pu perdre l’usage de la vue pendant plus d’une heure ? Quelles séquelles ? Et surtout… à quand la rechute ?
Afin de palier à cette éventualité et pour éviter tout traumatisme, le médecin préconise à Camille et Paul, les parents de Mona, de prendre rendez-vous avec un pédopsychiatre.

Mais quand Henry, alias « Dadé », le grand-père adoré de Mona, apprend la chose, il décide de prendre en main les « rendez-vous médicaux » de sa petite fille et l’entraîne dans les couloirs des trois plus grands musées parisien : le Louvre, Orsay et Beaubourg, afin de lui présenter les merveilles de l’histoire de l’art avant une probable cécité.

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Henry, ce grand-père chéri, ancien reporter de guerre mutilé (il a perdu l’usage de son œil droit et porte la balafre d’un coup de couteau), l’entraîne sur les pas des plus grands artistes de l’Histoire de l’art : Vinci, Botticelli, Goya, Poussin, Courbet, Degas, Cézanne, Soulages, Khalo, Dubuffet…

Il commence son voyage initiatique avec le quattrocento italien de Botticelli au Louvre et le termine à Beaubourg avec la performance de Louise Bourgeois et son Precious liquid.

Et chaque œuvre est l’occasion pour Henry d’offrir une leçon de vie à Mona : « Apprend à recevoir », « Souris à la vie », « Cultive le détachement », « Fais confiance à l’imagination » et quarante-huit autres qui, toutes, auront un impact sur la transformation physique et psychosomatique de la jeune fille.

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Ce livre, dans sa volonté doctorale, nous rappelle Le monde de Sophie de Jostein Gaarder, l’histoire d’une jeune fille qui découvre les grands courants philosophiques qui ont bâti le monde au travers de lettres reçues par un inconnu. Mona, telle Sophie, parcourt la frise historique de l’art afin de se découvrir et d’avancer.

Mais Ici, point d’inconnu, puisque celui qui agit en tant que transmetteur est son aïeul.
Et tout son cheminement professoral repose sur la présence absente du livre, celui qui en devient le fil conducteur. Cet absent/présent, rattaché au symbole du fétiche, est à la fois présent et lointain, vivant et mort, physique et impalpable. Comme les œuvres qu’elle observe et dans lesquelles elle voit plus encore que la simple surface, le cerveau et la vision de Mona lui permette de dépasser ses peurs et ses traumatismes.

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On reconnaît le discours docte du professeur d’Histoire de l’art, mais également le passionné.
Ce roman n’est pas que le parcours initiatique de Mona, c’est aussi celui du lecteur. Comme à l’époque du succès du Da Vinci Code de Dan Brown, on a envie de marcher sur les traces d’Henry et de Mona, de discourir à leurs côtés, de se perdre dans la symbolique d’un Poussin et dans l’exubérance d’un Manet.
Les descriptions du roman sont à double sens : d'un côté celle d’un élève qui décrit l’œuvre à son maître avant d’en faire l’analyse, telle que nous l’a appris Monsieur Schlesser alors que nous n’étions que de jeunes poussins avides d’en savoir plus et lui-même jeune doctorant, et d'un autre côté la description faite à une personne qui ne peut « voir » l’œuvre et qui doit donc l’imaginer à travers les mots.

Mais la beauté du roman réside également dans cette dichotomie entre l'art populaire et l'art muséal.
Tandis que Mona part en cachette explorer les plus belles œuvres du monde, son père brocanteur tient boutique dans un petit repaire qui, bien que peu décrit, semble crouler sous les objets les plus hétéroclites. Ces objets, populaires et vulgaires d’un premier coup d’œil, sont pourtant ceux qui deviendront les objets créateurs des œuvres de Beauchamps ou de Nikki de Saint Phalle.

Et, tout comme ces artistes avant lui, Paul Vuillemin créé du neuf avec du vieux et se fait un nom. Il devient, par rapprochement, une figure que Mona pourrait être amener à admirer dans ces musées qu’elle aime tant.

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Alors, qu'est-ce que l'art, nous interroge l'auteur ? Quand une œuvre devient-elle de l'art ? Et qui juge de sa "beauté" ? 
Les réponses sont apportées en temps et en heure car, comme Mona, le lecteur est initié à l'art, à la philosophie, à la beauté, et à la vie.

Et comme le précise doctement Henry, et tel ce célèbre « e » dans La disparition de Georges Perrec, la perte n’est pas une fin en soi, et le noir devient, grâce à Pierre Soulages, une couleur à part entière.


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