Vita Nostra, premier tome des Métamorphoses, de Marina et Sergueï Diatchenko

 


Vita nostra brevis est, brevi finietur.

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C'est dans le bourg paumé de Torpa que Sacha entonnera l'hymne des étudiants, à l'"institut des technologies spéciales". Pour y apprendre quoi ? Allez savoir. Dans quel but et en vue de quelle carrière ? Mystère encore. Il faut dire que son inscription ne relève pas exactement d'un choix : on la lui a imposée... Comment s'étonner dès lors de l'apparente absurdité de l'enseignement, de l'arbitraire despotisme des professeurs et de l'inquiétante bizarrerie des étudiants ?

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Le triptyque des Métamorphoses s'ouvre avec Vita nostra, inspiré d'Ovide "Vita nostra brevis est, brevi finietur" (Notre vie est brève, elle finira bientôt) tiré du Gaudeamus. Pour rappel, l'ouvrage d'Ovide raconte les aventures des dieux qui se transforment en mortels, en animaux ou en végétaux pour influer sur la vie des êtres humains. Mais la métamorphose, au sens plus large, appelle aussi à la magie et à l'ésotérisme : transformer les métaux en or par exemple. Puis le terme s'associe ensuite aux changements physique et psychiques, notamment à travers les sentiments.

La métamorphose, c'est l'instant ou la chenille devient papillon, l'idée devient le mot. Et c'est exactement ce que nous proposent les auteurs avec ce roman.

Sacha, jeune fille de seize ans tout à fait banale, rencontre un jour un homme qui lui soumet une mission : chaque nuit, elle devra nager jusqu'à une bouée, totalement nue, et revenir sur la plage. Si elle manque une seule nuit, quelques malheurs lui arriveront, à elle ou à sa mère. Et effectivement, un jour Sacha manque à l'appel des vagues, et sa mère se retrouve accompagnant son petit ami à l'hôpital suite à un accident. Fort de cette épreuve, Sacha se perd alors corps et âme dans les "missions" que lui assigne l'étranger aux lunettes noires. À la fin de l'année scolaire, son diplôme en poche, il la recontacte pour lui annoncer son entrée à l'institut des technologies spéciales, dans une petite ville de province. N'ayant pas le choix, Sacha accepte, et se retrouve plongée dans un univers à la Matrix. 

Entre les cours de philosophie qui nous rappelle l'expérience de la Caverne de Platon et les cours "spéciaux" où les étudiants planchent sur des livres incompréhensibles, l'héroïne se meut dans un monde dont la réalité se confond avec l'irréel. Ses perceptions évoluent, en même temps que sa maturité : les métamorphoses du corps, des sentiments et des relations sociales s'entortillent avec le surnaturel. 

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On ne va pas se mentir, l'ambiance est lourde, oppressante et suffocante. On souffre littéralement pour Sacha. Comme elle, on ne sait pas, on ne comprend pas, et le fait de ne pas avoir de visibilité sur le futur rend l'expérience angoissante. 

Le roman se découpe en trois parties : 

- la première avec l'arrivée à l'institut et la première année d'étude. C'est le moment de l'autonomie et de la découverte de sentiments inconnus ;

- la seconde pour la deuxième année d'étude, et le passage progressif à l'âge adulte. Sacha découvre son "moi" intérieur et commence à faire des choix par elle-même, moins guidée par les convenances que par une sorte de rébellion ;

- la troisième et dernière partie est encore plus abstraite. Sacha est désormais femme. En parfaite autonomie, elle met des distances dans ses relations et se replie sur elle-même. C'est le moment qu'elle choisit pour accompagner sa métamorphose totale.

De A à Z, le roman est un parcours prophétique, du passage de l'enfant à l'âge mature. Sacha, notre cobaye dans cette expérience, est le modèle même de ce qui doit être et ce qui ne doit pas être. Un grand esprit dans un corps trop étroit, elle cherche à se libérer du carcan imposé pour renaître telle qu'elle a toujours été.

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Un roman somme toute différent de ce que j'ai l'habitude de lire, mais plutôt convainquant. Difficile certes, mais riche en références et en réflexions. Après tout "Gaudeamus dum juvenes sumus" (Réjouissons-nous, nous sommes jeunes), alors à vos livres !



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