Une fille au manteau bleu de Monica Hesse
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Amsterdam, 1943. Nous suivons Hanneke, une jeune fille sans histoires, qui sillonne la ville et ses quartiers à bicyclette pour livrer des produits commandés au marché noir par des habitants via l'intermédiaire de son patron, un gérant de pompes funèbres. Mais un jour, l'une de ces clientes lui demande de lui trouver quelque chose de particulier : une adolescente juive qu'elle a cachée chez elle mais qui a disparu. Seul indice : elle porte un manteau bleu roi. Et c'est ainsi qu'Hanneke est transportée dans le tourbillon de la guerre et de ses secrets.
Lorsqu'on lit ce roman, impossible de ne pas penser à la trilogie de Régine Deforges La bicyclette bleue. Certains aspects sont assez similaires : le contexte historique, l'âge des protagonistes (Léa a 17 ans au moment de la déclaration de guerre, et Hanneke, bien que son âge ne soit mentionné nulle part, semble avoir moins de 20 ans), leur moyen de locomotion qu'est la bicyclette, la couleur bleue dans le titre (symbole de l'innocence et de la fidélité), elles participent toutes deux au marché noir et sont toutes les deux des âmes en peine (tandis que Léa voit l'amour de sa vie se fiancer à sa cousine, le fiancé d'Hanneke meurt pour sa patrie).
Mais outre son rapport à l'oeuvre de 1981 (et qui est destiné à un public averti, je le précise, car de nombreux aspects de la guerre sont détaillés tels que le viol, la torture, la violence et la barbarie nazie), Une fille au manteau bleu me fait aussi penser à la bande-dessinée La guerre de Catherine, qui est l'histoire d'une jeune juive obligée de changer d'identité pour survivre dans la France occupée (Prix jeunesse d'Angoulême 2018).
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Ce que j'ai particulièrement apprécié dans ce roman est que l'auteur n'a pas cherché à cacher les horreurs de la guerre. Elle nous décrit avec empathie l'entassement des juifs dans le Hollandsche Schouwburg (sans s'y attarder et laissant notre imagination faire le reste), l'ignorance (ou la volonté d'ignorance ?) des habitants sur la déportation, le mode de vie d'un pays occupé avec ses cartes de rationnement, son couvre-feu, ses prises de guerre (réquisition d'appartements ou de maisons de juifs déportés, vols), ses collabos, ses rafles, les fausses promesses de l'occupant, la discrimination et la haine envers les juifs et les homosexuels... Tout y passe, sans filtres.
L'histoire est une véritable course contre la montre. En effet, le temps est une donnée importante car tout le long de son récit, Hanneke nous rappelle depuis combien de temps Mirjam, cette jeune fille qu'elle a pour mission de retrouver, à disparu. En tout et pour tout, il se passe une semaine durant laquelle la vie d'Hanneke va se retrouver bouleverser. En moins de temps qu'il en faut pour le dire, elle est jetée dans les méandres de la Résistance, bon gré, mal gré.
Au sein de son récit, Monica Hesse nous dresse les portraits des Amsterdamois en temps de guerre : ceux pour qui rien n'a changé, ceux qui vivent encore dans l'insouciance, ceux qui regrettent le temps passé, ceux qui s'engagent, ceux qui collaborent et ceux qui font semblant, ceux qui se cache et ceux qui se révoltent, ceux qui essayent de sauver les autres, et ceux qui échouent...
La pluralité des portraits montre à quel point la guerre nous transforme : de nos certitudes, de nos habitudes, il ne reste rien. Notre passé s'étiole et l'avenir reste incertain, pour nous et nos voisins.
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J'ai beaucoup aimé ce livre qui nous montre la cruauté de la guerre. Il n'existe pas de héros, pas d'échappatoires ou de retour en arrière possible. C'est la vérité dans toute son âpreté.
Mais ce que j'ai particulièrement apprécié est l'aspect enquête de l'histoire : avec un unique indice, Hanneke réussi, à travers quelques contacts, à remonter le fil des pensées de Mirjam et à en dresser un portrait psychologique (exact ou pas, peu importe, le principal n'est pas là, car en temps de guerre, on ne fait que supputer, nos certitudes disparaissent).
De plus, l'auteur s'est beaucoup investie dans ses recherches afin de faire coïncider le réel et le fictif. De nombreux lieux et personnages ont véritablement existé, et nous sont désormais connus à travers sa plume, comme par exemple la jeune Mina qui n'est autre qu'une juive qui avait été cachée dans un appartement proche du théâtre où étaient entassés les juifs avant déportation, et fait partie des photographes résistants, où encore les photographies que Monica Hesse décrit dans son livre et qu'elle lui attribue sont tirées de l'ouvrage De illégale camera (1940-1945).
Ce roman est une véritable mine d'informations pour qui ne connaît pas les aspects de la Seconde guerre mondiale en Hollande et ailleurs.
Bref, un roman incroyable, plein de surprises, de rebondissements et de suspens, mais aussi bourré d'amour, d'amitiés perdues et d'incompréhension, qui en font une oeuvre fictive sur cette période de notre histoire importante pour la nouvelle génération.
À lire sans modération !
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